Le droit à un niveau de vie suffisant : vers un revenu de base universel ?

Face à la précarité grandissante, le revenu de base universel s’impose comme une solution audacieuse pour garantir un niveau de vie digne à tous. Exploration d’un concept révolutionnaire qui bouscule notre rapport au travail et à la protection sociale.

Les fondements juridiques du droit à un niveau de vie suffisant

Le droit à un niveau de vie suffisant est inscrit dans plusieurs textes internationaux fondamentaux. La Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 stipule dans son article 25 que « toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille ». Ce principe est repris et développé dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966, ratifié par la France en 1980.

Au niveau européen, la Charte sociale européenne révisée en 1996 engage les États signataires à garantir « le droit à la protection contre la pauvreté et l’exclusion sociale ». En droit français, si le préambule de la Constitution de 1946 ne mentionne pas explicitement un droit à un niveau de vie suffisant, il affirme néanmoins que « tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence ».

Les limites du système actuel de protection sociale

Malgré un arsenal juridique ambitieux, force est de constater que le système actuel de protection sociale peine à garantir un niveau de vie suffisant à tous les citoyens. En France, le taux de pauvreté s’élevait à 14,6% en 2019 selon l’INSEE, soit près de 9 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté. La crise sanitaire et économique liée à la Covid-19 n’a fait qu’aggraver cette situation, mettant en lumière les failles de notre modèle social.

Le système de minima sociaux, censé constituer un filet de sécurité, s’avère complexe, stigmatisant et souvent insuffisant. Le RSA (Revenu de Solidarité Active), principale allocation de lutte contre la pauvreté, ne permet pas de sortir de la précarité. Son montant, inférieur de 40% au seuil de pauvreté, maintient ses bénéficiaires dans une situation de survie plutôt que de leur assurer un niveau de vie digne.

Le revenu de base universel : une réponse innovante ?

Face à ces constats, l’idée d’un revenu de base universel (RBU) gagne du terrain. Ce concept, défendu par des économistes et philosophes depuis des décennies, consiste à verser à chaque citoyen, de manière inconditionnelle, une somme suffisante pour couvrir ses besoins essentiels. Contrairement aux minima sociaux actuels, le RBU serait versé à tous, sans condition de ressources ni contrepartie en termes d’emploi ou de recherche d’emploi.

Les partisans du RBU avancent plusieurs arguments en sa faveur. Tout d’abord, il permettrait d’éradiquer la pauvreté monétaire en garantissant à chacun un socle minimal de revenus. Il simplifierait considérablement le système de protection sociale, réduisant les coûts administratifs et supprimant les effets de seuil qui peuvent décourager la reprise d’activité. Enfin, il offrirait une plus grande liberté de choix aux individus, leur permettant de se former, d’entreprendre ou de s’engager dans des activités non rémunérées mais socialement utiles.

Les défis de la mise en œuvre du revenu de base universel

Si le concept de RBU séduit de plus en plus, sa mise en œuvre soulève de nombreuses questions. La première concerne son financement : selon les estimations, le coût d’un RBU suffisant pour vivre décemment se chiffrerait en centaines de milliards d’euros par an. Plusieurs pistes sont évoquées pour le financer : réallocation des budgets actuels de protection sociale, taxation des revenus du capital, taxe sur les transactions financières, ou encore création monétaire.

Un autre défi majeur concerne l’impact du RBU sur le marché du travail. Certains craignent qu’il n’encourage l’inactivité, tandis que d’autres y voient au contraire un moyen de revaloriser le travail en permettant aux individus de refuser des emplois mal rémunérés ou peu épanouissants. Des expérimentations menées dans différents pays (Finlande, Canada, Pays-Bas) n’ont pas montré d’effet désincitatif significatif sur l’emploi, mais leurs résultats restent à confirmer à plus grande échelle.

Vers une redéfinition du contrat social ?

Au-delà des aspects techniques, le débat sur le RBU soulève des questions philosophiques fondamentales sur notre rapport au travail, à la richesse et à la solidarité. Il invite à repenser le contrat social à l’ère de l’automatisation et de la précarisation croissante de l’emploi. Le RBU pourrait-il constituer un nouveau socle de droits sociaux adaptés au XXIe siècle ?

Certains y voient une opportunité de déconnecter partiellement revenu et travail, reconnaissant ainsi la valeur d’activités non marchandes comme le bénévolat, le travail domestique ou la création artistique. D’autres craignent au contraire qu’il ne serve de prétexte à un démantèlement plus large de la protection sociale, l’État se contentant de verser un revenu minimal sans garantir l’accès à des services publics de qualité.

Le débat sur le RBU s’inscrit dans une réflexion plus large sur les moyens de garantir le droit à un niveau de vie suffisant dans un monde en mutation. Entre utopie réaliste et révolution sociale, il interroge notre capacité collective à inventer de nouvelles formes de solidarité pour faire face aux défis du XXIe siècle.

Le droit à un niveau de vie suffisant, bien qu’inscrit dans de nombreux textes juridiques, reste un défi majeur pour nos sociétés. Le revenu de base universel apparaît comme une piste prometteuse pour le concrétiser, mais sa mise en œuvre soulève encore de nombreuses questions. Le débat est lancé, reste à trouver le courage politique pour expérimenter à grande échelle cette idée révolutionnaire.